Julian, de Robert Charles Wilson

En cette veille de Noël 2172, trois hommes quittent la Propriété, à Williams Ford, pour tenter d'échapper à la conscription. Le premier, Julian Comstock, n'est autre que le neveu du Président des Etats-Unis, homme cruel et ambitieux qui n'hésita pas, en son temps, à faire exécuter son propre frère. Le second, Sam Godwin, est le précepteur de Julian, véritable mentor doublé d'un ange gardien. Le dernier se nomme Adam Hazzard, l'ami de Julian. Malheureusement pour eux, les évènements ne vont pas tarder à rattraper les trois fuyards...

Julian, de Robert Charles WilsonLe moins que l'on puisse dire, c'est que ce Julian va en dérouter plus d'un.

En premier lieu, certains amateurs de Robert Charles Wilson risquent de ne pas s'y retrouver, habitués qu'ils sont à suivre un personnage-narrateur se trouvant confronté à un évènement extraordinaire qui bouleverse l'Humanité toute entière. Dans Les Chronolithes, des stèles du futur apparaissent aux quatre coins du monde, tandis que dans Spin, la Terre est recouverte d'un "voile" qui la met à l'écart du reste de l'Univers. A chaque fois, les bouleversements engendrés par ces phénomènes hors du commun sont appréhendés par un témoin parmi tant d'autres, anti-héros par excellence. Avec un soucis permanent du style, Wilson nous sert de grands récits de SF, mais vu par le petit bout de la lorgnette. Dans Julian, nous sommes dans un futur relativement lointain (une innovation chez l'auteur canadien qui nous a habitués jusque-là à placer ses récits dans un avenir si proche qu'il pourrait tout aussi bien être notre présent). L'élément pertubateur qui a profondément transformé la société américaine, outre qu'il s'est déjà produit un siècle auparavant (là encore, nouveauté), est loin d'être extraordinaire, même s'il n'en reste pas moins catastrophique. La fin du pétrole, tout le monde le sait à présent, nous est promis à plus ou moins long terme. On est donc loin des thèmes science-fictifs avec lesquels Wilson aime jouer d'habitude.

Et ce sont donc bien les amateurs de science-fiction qui risquent d'être quelque peu désorientés avec ce livre. S'il est clair que nous avons affaire à un vrai roman de SF (les dates sont là pour le prouver), on est bien loin des codes habituels. Si la société décrite en filigrane dans ce roman est bien issue d'une catastrophe, il n'est point question ici de bombes thermo-nucléaires, ni même de guerre bactériologique. Le consumérisme effréné a fini par atteindre son point de rupture, plongeant la société américaine (et les autres, on imagine) dans le chaos. Seule la formidable (capacité) d'adaptation de l'être humain lui a permis de reconstruire une cohésion sociale, mais au prix de certaines valeurs, comme la liberté (du moins pour certains). Dans cette dystopie soft, où le clergé (le bien nommé Dominion) est tout-puissant, et la guerre permanente, il ne fait pas bon faire partie de la classe des dominés, car le servage a été remis au goût du jour. L'american dream a été remisé aux oubliettes. Tout comme la technologie qui a fait un impressionnant bon en arrière. Ici, le futur ne nous réserve aucune voiture volante supersonique, ni le moindre robot domestique. Même la conquête spatiale a été reléguée au rang de mythe. Par l'omniprésence du cheval ou du chemin de fer comme moyens de transport, ce livre fleure bon le XIXème siècle. Il rend d'ailleurs hommage aux romanciers américains de cette période, Mark Twain en tête.

Le lecteur mainstream, s'il est correctement conseillé par son libraire, pourra tout à fait trouver son compte avec ce roman. La couverture (magnifique, à mon goût personnel) est sobre à dessein, dépouillée de toute représentation science-fictive. Elle ne pourra avoir d'effet repoussoir sur ce genre de public. Cependant, si l'écriture magnifique de Wilson peut contenter son appétit de littérature, il ne pourra qu'être désorienté par les dates en tête de chaque partie (l'histoire racontée ici court sur trois années, de Noël 2172 à Noël 2175)
La confusion risque donc d'être grande.

Ceci étant dit, il est plus que temps pour moi de vous dire pourquoi j'ai adoré ce roman. Déjà parce que avec ce Julian, Robert Charles Wilson a su sortir du "système" de narration dans lequel il semblait s'être enfermé. Ici, l'originalité ne nuit pas, bien au contraire. Ensuite parce que l'auteur fait oeuvre de science-fiction, tout simplement. Car si la SF n'est pas là pour interroger le présent, à quoi peut-elle bien servir. Et dans Julian, Wilson ne fait que cela. Et puis, last but not least, on retrouve tout à fait dans les presque 600 pages de ce roman toute la verve de cet auteur indispensable si, comme moi, on aime le beau style.

Un seul bémol, mais de taille à l'heure où beaucoup d'entre nous devons nous serrer la ceinture, c'est le prix : 28€ ! Peut-être cela peut se justifier, je n'en doute pas. Mais en attendant, j'ai peur que beaucoup de gens passent à côté de ce bijou pour cette unique raison.

note : IV

A.C. de Haenne

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