Grendel, de John Gardner

Dans le cruel Danemark du Moyen Âge, Grendel le "monstre" observe les hommes qui luttent contre la Nature sauvage, entre eux pour obtenir le pouvoir, et contre un mal qui n'a de cesse de les tourmenter, lui-même ! Un homme pourtant semble émerger du lot. Hrothgar, en unifiant les différentes tribues danoises, devient un puissant roi... 

illustration de Lasth
Voilà bien une oeuvre singulière difficile à résumer en quelques mots.

Déjà, là où nombre d'écrivains nous auraient pondu un pavé au prétexte de faire épique, John Gardner nous offre un texte court, très court. En effet, sur les 184 pages de ce livre, il faut enlever la propre introduction de Gardner à son oeuvre, et la très éclairante postface de Xavier Mauméjean, et il ne nous reste plus que 151 pages. Mais attention ! Lorsque je dis qu'il faut enlever, je ne dis pas qu'il ne faut pas les lire. Bien au contraire, ces deux textes sont comme de l'or fin magnifiquement ouvragé mettant en valeur le diamant ciselé qu'est Grendel. Et il ne faut surtout pas se fier à la concision de ce roman, car en douze courts chapitres, John Gardner nous y livre beaucoup de lui-même, du drame fondateur de sa vie (et de sa mort, sûrement), de sa vision des choses, etc.

Ensuite, en reprenant la légende, l'auteur américain aurait pu se contenter d'une énième version du mythe de Beowulf, ni meilleure ni pire, juste pour se faire plaisir. Non, dans cette interprétation, John Gardner a choisi de prendre le point de vue du "monstre", celui que Beowulf (d'ailleurs, ce nom n'est jamais cité dans le roman) vient tuer pour aider les Danois. Grendel observe les hommes, en tue parfois (ben oui, faut bien se nourrir !), les envie quelques fois, mais surtout il se moque d'eux, de leurs faiblesses, de leurs croyances, etc. Bien sûr, l'omniscience de Grendel pourrait sembler manquer de réalisme (à moins qu'il n'ait le pouvoir de voir et d'entendre au travers les bâtiments). Seulement, on comprends vite que l'important n'est pas là. C'est un conte, cruel certes, mais un conte tout de même. Et un conte se passe très bien du réalisme. C'est aussi un portrait en creux de la société humaine vu de celui qui est différent, du paria, de l'étranger à la communauté. Alors, les valeurs se trouvent forcément inversées. Dans l'esprit de Grendel, la vie humaine ne vaut pas grand-chose, le Créateur devient le Destructeur, sa propre mort un simple accident, etc.

Voilà, il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur ce roman magnifique, aussi court que dense, qui en dit beaucoup sur son auteur et qui nous parle à nous. Et à l'instar d'un Tod Browning et son chef d'oeuvre The Freaks ou d'un Xavier Mauméjean avec son sublime Lilliputia (ce n'est pas un secret que de dire que l'auteur français est fasciné par la monstruosité, d'où son évidente participation visiblement très active sur ce livre), ce roman nous dit que le monstre n'est pas forcément celui qu'on croit.

note : IV

A.C. de Haenne

P.S. : juste un petit mot pour vous signaler quand même la magnifique couverture de Lasth.

Commentaires

  1. Chouette chro.
    Merci.

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    1. Merci. Soit dit en passant, cette chronique est déjà parue dans l'ancienne version du blog mais il me semble intéressant de donner un nouvel éclairage sur certains romans qui, comme celui-ci, le mérite. Cette critique peut aussi se retrouver dans le fanzine "Présences d'esprits" (en version papier, donc).

      http://cms.presences-d-esprits.com/publications/pde/dernier-numero

      A.C.

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  2. Une belle chronique pour un livre qui ne l'est pas moins (en tout cas c'est ce que laisse entendre la-dite chronique, et beaucoup d'autres également).
    Je me laisserais bien tenter...

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    1. Et je te dirais bien de te laisser aller à la tentation, mais je ne le ferai pas (eh oui, je laisse ça à d'autres...).
      Si nos chroniques donnent envie de lire (ou, a contrario, avertissent des livres/films qu'il vaut mieux éviter), c'est parfait, elles sont là pour ça.
      Après, à 17€ chez Lunes d'encre, cela reste tout à fait abordable.

      A.C.

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