Entretien avec un Québécois (2/3)

Comme promis, voici donc la deuxième partie de l'entretien :


A.C. de Haenne : C’est bien vrai, ça ! Alors, justement, quelle est ta méthode de travail ? Je veux dire : de quelle manière réalises-tu tes recherches, fais-tu un synopsis, etc. ?

Martin Lessard : Lorsque j’ai une idée de base assez précise, je fais mes recherches, le plus souvent sur le Net (si c’est possible, j’évite de me geler l’cul dehors), j’inscris ce dont j’ai besoin pour me lancer et hop ! D’où, bien sûr, le besoin du crayon et des feuilles à proximité. L’esquisse ultra pointue, à l’avance, je n’y arrive pas. La chose finit par se faire au fur et à mesure. Évidemment, je ne conseille pas ma méthode aux auteurs pressés par le temps. Quelques bouteilles de rouge s’avèrent aussi parfois nécessaires. Ça, en revanche, je le conseille.


A.C. : Personnellement, je n’aime pas le rouge, mais je t’accompagnerais bien à la bière… Bon, soyons sérieux : Terre sans mal est ton tout premier roman. Pourquoi Denoël ?

M.L. : Pourquoi pas, veux-tu dire ? Quand on connaît la tradition d’excellence de cette maison d’édition en matière de SF, de Présence du futur jusqu’à Lune d’encre, j’aurais été bien bête de ne pas y tenter ma chance. Est-ce que j’y croyais ? Pas vraiment. Mais je ne risquais pas grand-chose à tenter le coup. Une vingtaine de dollars, tout au plus. Ce qui est bien peu face à la certitude de ne pas être lu si je ne leur envoyais pas mon manuscrit.

A.C. : Et pourquoi pas au Canada ?

M.L. : J’ai d’abord fait parvenir la première version de mon manuscrit aux Maisons québécoises que je jugeais correspondre à mon histoire. Trois, je crois. J’ai reçu un refus, un « peut-être dans quelques années, notre planning est complet pour l’instant », ainsi qu’un retour de poste, l’éditeur n’existant plus. Devant pareil enthousiasme (et après réécriture dudit manuscrit), c’est le couteau dans les dents que j’ai vérifié dans ma bibliothèque personnelle d’où provenaient mes romans. Denoël dominait largement le palmarès. Qui ne risque rien n’a rien !


A.C. : C’est sûr ! Comment s’est passée ta collaboration avec Gilles Dumay ?

M.L. : Étant lui-même écrivain, Gilles connaît le métier à tout point de vue et le professionnel a su bien encadrer le petit nouveau. Comme une forme de mentorat, dans une certaine mesure. Dès le début, il m’a clairement dit ce qu’il souhaitait, et vers quoi je devais m’orienter pour la réécriture. Et c’en fut toute une ! Tout s’est fait par mail et par courrier, je ne lui ai même jamais parlé de vive voix. La chorégraphie quand il s’est dit intéressé par mon manuscrit, j’te dis même pas. Baryshnikov, puissance dix !


A.C. : J’imagine tout à fait ! Qu’as-tu voulu dire avec Terre sans mal ?

M.L. : Le livre se veut un hommage à la grande science-fiction manichéenne qui a touché l’occident après la victoire des Alliés. Tout en respectant les personnages d’usages et le style très tranché de l’époque, j’ai tenté d’en faire une histoire contemporaine par le jeu des contraires : le président américain est un salopard, le magnat de la presse un type de gauche, le détective privé un amoureux, le scientifique un arriviste avide de pouvoir. Tandis que l’extraterrestre (qui n’en est même pas un), jeune autochtone d’Amérique du Sud, loin de l’envahisseur assoiffé de sang humain, se révèle plutôt à nous en rédempteur. Au fond, j’ai voulu faire de cette littérature idéologique ultra conservatrice d’après-guerre quelque chose de plus humain, tout en prenant soin de préserver sa vision positive du futur et son discours unificateur. Ce que j’ai voulu dire ? Ben, lisez-le et faites-vous votre propre idée.

A.C. : Oui, je ne peux qu’être d’accord avec toi. Lecteurs de ce blog, lisez Terre sans mal ! En plus des hommages transparents que tu rends à des auteurs qui ont marqué la SF (Asimov, Bradbury, Clarke, Dick ou Robinson), les références à la littérature (de genre, mais pas que) sont nombreuses. En effet, chaque court chapitre s’ouvre par une petite citation. N’as-tu pas eu peur de noyer ton lecteur sous le poids de ta culture (c’est l’effet que cela m’a fait parfois) ?

M.L. : Avec le recul, tu as raison, ça fait beaucoup d’hommages au pied carré. Hélas ! À l’origine, le manuscrit faisait presque deux cents pages de plus mais comptait paradoxalement moins de chapitres. Dans une recherche d’efficacité, Gilles m’a proposé de disséquer tout ça et les chapitres se sont multipliés. À ce moment-là, il aurait sans doute été plus sage d’abandonner les citations. Dans une éventuelle reprise en poche, peut-être ?


A.C. : Oui, pourquoi pas ? À ce propos, tu aurais des pistes ?

Voilà, suite et fin, demain...

A.C. de Haenne

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