Qui a peur de la mort ? (Who Fears Death), par Nnedi Okorafor

Onyesonwu est une ewu, une enfant issue de deux ethnies antagonistes. Fruit d'un viol perpétré contre sa mère par un général ennemi, la jeune femme va grandir dans une société qui la rejette parce qu'elle porte sur elle les stigmates de cette union non désirée. Pire, elle est considérée comme un être qui deviendra violent à son tour. Mais très vite elle se rend compte qu'elle recèle en elle des pouvoirs qui la dépassent...

illustration de Joey HiFi
Attention, ce roman débute par des scènes fortes qui ont tendance à laisser le lecteur un peu K.O. tout de suite. En effet, Nnedi Okorafor commence presque immédiatement son récit par l'évocation par une mère à sa fille du viol qu'elle a subi et qui est à l'origine de son arrivée douloureuse sur Terre. Elle lui dit bien qu'elle ne pourra lui faire ce récit qu'une seule fois, et c'est tant mieux car c'est assez éprouvant pour le lecteur. Comme si Nnedi Okorafor ne voulait pas laisser souffler son lecteur, vient ensuite une cérémonie d'excision. Porteuse d'une violence moindre, le récit de ce rite "barbare" s'avère tout de même pénible à lire, malgré là encore la beauté d'évocation des mots de l'écrivain. Cependant, ces deux moments primordiaux ont le mérite de tout de suite poser les bases de l'univers violent dans lequel baignent les protagonistes. Et l'auteure américaine d'origine nigériane le fait avec une telle magnificence (la beauté de l'atroce) qu'on se sent tout de suite happé par son récit.

Même si aucun pays n'est jamais cité (sauf une fois, à la toute fin du roman), ni aucune date donnée, c'est d'une Afrique du futur dont il s'agit ici. Un futur indéterminé, seulement signalé par de subtiles évocations d'objets du quotidien qui n'appartiennent pas à notre présent. Pourtant, ce quotidien futuriste est tellement imprégné de traditions ancestrales (guerre, racisme, excision) qu'on aurait aimé voir dépassées, qu'il nous rend ce récit totalement intemporel. C'est peut-être là la plus grande force de ce Qui a peur de la mort ?, quatrième roman de Nnedi Okorafor. Elle explique d'ailleurs dans une postface en forme d'hommage à son père, qu'elle a commencé à le rédiger en apprenant la mort de celui-ci. En le lisant, on sent toute la rage, tout le désespoir face à la perte qu'elle a pu y mettre.

Si ce roman peut être classé dans la case Science-Fiction puisqu'il se déroule dans un futur post-apocalyptique, c'est tout de même bien avant tout une oeuvre de Fantasy. En effet, la magie y est omniprésente. Et même s'il m'a fallu un certain temps avant d'assimiler le fait que dans le monde décrit ici il était normal pour l’héroïne de se transformer en animal (même si elle-même met un certain temps à le comprendre), ou bien d'autres choses encore, j'ai fini par l'admettre, par l'intégrer. En fait, je me suis dit que s'il est possible d'accepter que la magie puisse exister dans un récit se déroulant dans un monde européen pseudo-médiéval, pourquoi n'existerait-elle pas dans une Afrique du futur ? Cette suspension d'incrédulité chère à Coleridge m'a, au final, grandement fait apprécié ce roman.

Malheureusement, ce livre fait 500 pages bien tassées et c'est cent ou cent-cinquante pages de trop. En effet, l'improbable quête menée par Onyesonwu (qui veut dire, justement, Qui a peur de la mort) et ses amis les fera traverser le désert. Certains d'entre eux se demanderont même ce qu'ils sont venus faire là. Nous aussi. C'est tellement long qu'on se demande presque si un sort n'a pas été jeté sur le lecteur pour qu'il ne le termine jamais (je suis un lecteur lent et j'ai vraiment trouvé ça interminable, au sens littéral du terme). Seule la fin (oui, quand même) fait retrouver au lecteur un regain d'intérêt. 

Heureusement que c'est superbement bien écrit d'un bout à l'autre du livre, sinon ce roman serait depuis longtemps retourné d'où il vient, c'est-à-dire la médiathèque de ma ville.

Bon, pour ne pas terminer sur une note trop négative (que le livre dans son ensemble ne mérite pas), on signalera la magnifique couverture signée par le graphiste sud-africain Joey HiFi, dont on avait déjà pu admirer le travail sur le roman de Lauren Beukes, Moxyland.

Qui a peur de la mort ? (Who Fears Death) - Panini Books - collection Eclipse - trad. de Laurent Philibert-Caillat - 528 pages - 16€ - D.L. : novembre 2013

note : III

A.C. de Haenne






Commentaires

  1. Un peu trop classique dans la narration (une quête typique de fantasy), mais les thèmes sont très forts, et le contexte change de ce qu'on a l'habitude de voir. Une belle découverte.

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    1. Oui, Tout à fait, Je ne regrette pas du tout le voyage (malgré la longueur) et la découverte d'une auteure qui promet, je pense.

      A.C.

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