De la poussière à la chair (From The Dust Returned), par Ray Bradbury

Sur une haute colline de l’Illinois, s’est un jour – ou plutôt l’espace d’une nuit de tempête – dressé un gigantesque Manoir. S’y est alors installé toute une ribambelle de “monstres”, de la sorcière invisible capable de s’immiscer dans les pensées à la momie forcément égyptienne, en passant par un homme ailé et bien d’autres spécimens encore. Parmi cette galerie de personnages hauts en couleur, se distingue un seul être qui peut se dire normal. Il s’agit d’un jeune garçon, Timothy, qui a été trouvé et adopté par la Famille. Tel l’historien qu’il semble devoir être, il se met en devoir de narrer le récit de cette maison pas comme les autres, et de ses habitants...
illustration de Guillaume Sorel
Un manoir habité par une famille de monstres, si ça vous rappelle quelque chose, c’est tout à fait normal car avec ce De la poussière à la chair…, Ray Bradbury ne se cache pas d’avoir voulu rendre un hommage à son ami Charles Addams. Dans la postface du présent ouvrage, il explique même avoir eu un temps le projet d’une écriture en commun avec le dessinateur, père de la célèbre Famille qui porte son nom, et dont il illustra les aventures macabres durant près de quarante ans, de manière régulière, pour le New Yorker. Finalement, le projet ne verra pas le jour.
Sur une base de six nouvelles pour la plupart écrites à la fin des années 40, dont certaines révisées, De la poussière à la chair… est un patchwork de récits situés dans le même univers et assemblés entre eux de façon plus ou moins cohérente. Si, dans un premier temps, le collage semble trop artificiel, le lecteur finit par entrer au cœur de ce roman. Et avec cette toute nouvelle traduction, signée Patrick Marcel, à la fois plus dense et plus fluide, le lecteur peut enfin apprécier toute la poésie qui transpire des mots de Ray Bradbury. Car, au-delà de l’hommage, c’est bien de cela dont il s’agit ici : un assemblage de longs poèmes en prose. La musique des mots est prégnante, évocatrice souvent, hermétique parfois, toujours magnifique. En revanche, si le lecteur recherche dans De la poussière à la chair… le côté militant que lui promet le quatrième de couverture, il devra repasser. À moins que cela ne fasse référence à la « marée montante du scepticisme » qui porte préjudice à la Famille même ? Peut-être que dans l’esprit d’un Américain, l’Athéisme est le pire des maux contre lequel il faut lutter ? On ne saura trancher ici…
Au final, ce livre court, un peu plus de deux cents pages s’avère une très bonne porte d’entrée pour qui veut découvrir la face fantastique de l’œuvre immense de Ray Bradbury, auteur que d'aucuns réduisent à ses écrits de science-fiction, ce que lui-même récusait (il se considérait avant tout comme un auteur de fantastique). On se gardera par ailleurs d'une impression initiale mitigée, la faute à la structure bancale de l’œuvre (comme souvent avec les fix-up) : charge au lecteur de savoir se laisser imprégner par la musicalité des mots qui ne manquera pas de le piéger. Le voyage vaut le détour...
note : III
A.C. de Haenne
P.S. : un grand merci à Patrick Marcel pour ce joli cadeau et à Gilles Dumay pour sa confiance !
Et si vous voulez voir cette chronique dans son contexte, je vous invite à vous procurer le Bifrost n°72. En attendant, vous pouvez la lire en ligne, dans une version revue et corrigée, c'est par ici que ça se passe...

Commentaires

  1. Je ne connaissais absolument pas l’existence de ces nouvelles, c’est passionnant… Merci pour cet article ;)

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    Réponses
    1. Ça a été ? Ta lecture n'a pas été trop pénible (désolé) ?

      Ben, heureux de t'avoir fait découvrir ce pan de l'oeuvre du grand Bradbury !

      A.C.

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