Chroniques d'un rêve enclavé, par Ayerdhal

Le quartier de la Colline croule sous les taxes et ses habitants ne savent pas s'ils passeront l'hiver. Un homme, arrivé l'année précédente, tente de les aider. On le surnomme Parleur, parce qu'il a la parole facile et le verbe haut. Pour lui, la solidarité peut sauver la Colline, si celle-ci s'organise et s'éloigne du pouvoir de la Citadelle. Mais ni le Prince ni le Dogme ne l'entendent de cette oreille...

couverture d'Olivier Fontvielle
S'il peut paraître à première vue réducteur, le terme "engagé" sied bien à l'écrivain Ayerdhal. Les combats qu'il a menés (droits d'auteur, Hadopi, cause LGBT, etc.) en sachant fédérer les énergies sont malheureusement toujours d'actualité. D'autres menaces sont déjà là, ou seulement en germe pour le moment, et c'est peu de dire que la voix d'Ayerdhal va nous manquer, tant cet homme savait manier le verbe, à l'écrit comme à l'oral, pour les mettre au service des causes qu'il défendait. 

Pourquoi vous parler du regretté Ayerdhal avant de parler de son livre ? Parce que si on peut retrouver beaucoup de lui dans chacun de ses romans (c'est sûrement le propre de tous les écrivains, ou peu s'en faut), je pense que dans ces Chroniques d'un rêve enclavé, c'est encore plus prégnant. En effet, à travers les mots de Parleur, j'ai souvent cru reconnaître la verve de l'écrivain originaire de Lyon. Même si Parleur n'est pas totalement Ayerdhal (et inversement), je pense tout de même que celui-ci a mis beaucoup de ses idées dans cette histoire d'auto-gestion à une époque où la notion de lutte des classes n'avait pas encore été théorisée. Un récit où l'anarchisme tient une grande place, dans son acception la plus littérale. "Ni Dieu, ni Maître" criaient les anars du XIXe siècle. Ceux de la Colline pensent, sans trop le dire, qu'ils seraient aussi heureux s'ils n'avaient pas à redonner une grosse part du fruit de leur travail au seigneur et s'ils pouvaient se passer de payer la dîme qu'ils "doivent" au Dogme (entendez par là la religion officielle de ce Moyen-Âge "imaginaire"). Et ce qui n'était qu'un rêve utopique devient la vraie vie...

Si les idées exposées ici peuvent paraître naïves, elles n'en restent pas moins belles. D'autant que sans dévoiler la fin, elles finissent forcément par rencontrer le mur de la réalité concrète. En lisant ce livre, on a l'impression de vivre avec ces gens, pour beaucoup moins que rien ou certains un peu mieux lotis (les bourgeois vraiment riches et les nobles vivent eux derrière les hauts murs de la Citadelle). Ce qui les rend vraiment sympathiques, c'est qu'ils finissent tous solidaires face à l'adversité. Parce que si le premier hiver soude une solidarité "artificielle", voulue par Parleur et acceptée par tous, par la force des choses, elle devient naturelle par la suite. On souffre avec ces gens si lointains de nous (dans l'espace et le temps et par-delà l'imagination d'un affabulateur de génie) et pourtant si proches de notre réalité. Parce que Parleur n'est ni un saint, ni un prophète, il préfère apprendre aux autres comment pêcher plutôt que de ramener du poisson. Malgré toute la beauté de ce personnage charismatique, chantre de la non-violence, peut-être est-il parfois un peu trop parfait, trouvant à chaque fois, ou presque, la solution aux problèmes rencontrés. Ce sera là mon seul bémol pour ce roman qui regorge de personnages truculents, bien campés, qui ne sont pas des faire-valoir gravitant autour de Parleur.

Chroniques d'un rêve enclavé relève-t-il du genre fantasy ? Pour ma part, j'aurais tendance à dire oui, même si la magie est ici tout à fait expliquée. En bon cartésien, Ayerdhal nous propose une magie réalisée par un prestidigitateur. Néanmoins, si on se place au niveau des gens qui la voient, ou qui la subissent, elle paraît bien réelle. En plus, même si ce roman est bien loin du manichéisme rencontré dans bon nombre de livres d'heroic fantasy, l'antagonisme entre deux clans (les oppresseurs et les oppressés, plutôt qu'entre le Mal et le Bien) est bien présent. Même s'ils ne mènent pas une quête à proprement parlé, on a bien ici un groupe de gens qui cherchent une sorte de "graal" inatteignable : la liberté ! Bref, une fantasy différente, mais de la fantasy quand même (et je sais que plein de gens ne seront pas d'accord avec moi).

Comme je le disais dans le modeste hommage que je rendais à l'immense écrivain Ayerdhal (par ici), si l'homme a disparu, son souvenir reste gravé à jamais dans beaucoup de coeurs et, surtout, son oeuvre demeure. Même s'il s'agit d'une piètre consolation face à la douleur encore vive, je suis heureux d'avoir lu ce livre où j'ai tant retrouvé de mon ami. Et je suis encore plus heureux car il me reste beaucoup de ses livres à lire.

Chronique d'un rêve enclavé - Au Diable Vauvert - 392 pages - 18€ - D.L. : octobre 2009

note : III

A.C. de Haenne

Cette chronique triste et joyeuse a été réalisée dans le cadre d'un double challenge, celui de Lhisbei d'abord (item #13) :


Et celui de Marie Juliet ensuite :



Commentaires

  1. Chouette plaidoyer.

    Après quelques recherches, je constate qu'il a écrit relativement peu de nouvelles (j'en suis surpris) et qu'accessoirement je n'ai lu, pour ma part, en tout et pour tout, que 2 de ses nouvelles (et oublié de quoi elles causent de surcroît) !!!
    Je le précise parce que ce qui m'ennuie c'est que j'ai en tête l'idée d'une oeuvre didactique dont les histoires ne servent que les idées de leur auteur alors qu'en fait je n'ai quasiment rien lu de lui. Ca fait peur les à-priori...

    Sinon, tu l'as lu son recueil "La Logique des essaims" ?

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    1. Pas du tout ! Faut que je recherche ça...

      Quant aux nouvelles du sieur Ayerdhal, j'imagine que tu connais "RCW", qui se trouve au sommaire de l'anthologie Utopiales 2012 et qui rend hommage à son grand ami Wagner ?

      Après, c'est vrai, Ayerdhal n'a pas écrit beaucoup de nouvelles. Même si je peux me tromper, vu que je n'ai pas tout lu de lui, loin s'en faut.

      A.C.

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  2. Non, non pas lu celle-ci.
    Juste "scintillements" & "Paysage urbain" (autant dire rien)

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    1. Alors je te la conseille ardemment ! Elle est assez bouleversante et je crois que j'aurais du mal à la relire, vu que je n'ai pas encore fait mon deuil (bon, je m'épanche, là...)

      A.C.

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  3. Je suis devenu un collinard le temps de ma lecture, j'ai vraiment adoré !
    J'ai lu deux romans de Ayerdhal, à chaque fois il m'a captivé. L'auteur n'est plus là, mais ses oeuvres demeurent.

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    1. Quel est l'autre roman ?

      C'était là mon quatrième et, comme toi, je me suis fait scotché à chaque fois !

      A.C.

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  4. Premier Ayerdhal pour moi, ne sera sans doute pas le dernier. Je ressors extrêmement touchée de ma lecture. Une intrigue peut-être un peu trop idéaliste - mais on en a besoin - et en même temps pas si naïve que ça, et c'est aussi ce qui donne sa grande force au livre.

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    1. Sans vouloir spoiler pour ceux qui ne l'auraient pas (encore) lu (les chanceux !), la fin montre que très souvent l'idéalisme (qui fait du bien, aussi) se heurte souvent au mur de la réalité. Et ça fait mal !

      A.C.

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  5. Bon, je prends celui-ci. N'ayant jamais lu l'auteur, ce sera l'occasion et j'epère qu'il va me plaire.

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    1. j'en suis sûr ! une bonne entrée pour apprécier la plume d'Ayerdhal. et ensuite, "Demain une oasis" !

      bonne lecture !

      A.C.

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  6. Kwak vient (ou va) paraître. C'est un roman posthume de la série cybione (4 romans regroupés en 1 seul volume au édition Diable Vauvert). Je te les conseille très fortement. C'est plein d'action, féministe et bourré d'humour. C'est la troisième fois que je les relis. Toujours aussi bien.

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    1. Kwak, roman posthume et inachevé, sortira le 4 septembre prochain. On en reparlera par ici, je pense, un jour... Merci du conseil, en tout cas.

      A.C.

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